Appel à communicationsDès les premières heures du contact entre l’Europe et les Amériques autochtones émerge une vision amenée à s’épanouir au XVIIIe siècle – sous la plume d’un Rousseau, d’un Diderot ou d’un Voltaire – opposant le « bon sauvage » au « mauvais sauvage ». Pour Christophe Colomb, les Lucayes de Guanahani, puis les Taíno d’Hispaniola possèdent les traits adamiques du bon sauvage : nus, accueillants, pacifiques et tenants d’un monothéisme primitif. Face à eux, leurs ennemis traditionnels, les « Cannibales » ou Caraïbes des Petites Antilles deviennent aussitôt, et bien avant toute rencontre effective, le symbole de la barbarie : sans foi, sans loi, sans roi. Avec la colonisation européenne des « îles cannibales » au début du XVIIe siècle, les témoignages sur ces peuples autochtones aujourd’hui appelés « Kalínago » se sont multipliés : récits de voyage, relations missionnaires, correspondances administratives, histoires ou dictionnaires. Ces sources coloniales, en français pour l’essentiel, ont durant près de trois siècles et demi servi de fondement à une histoire amérindienne au cours de laquelle se seraient succédé un premier peuplement dit « arawak », puis une invasion caraïbe dont les premiers archéologues aux Antilles se sont efforcés – en vain – de trouver les traces (Delawarde 1937 ; Pinchon 1952). Mais au début des années 1980, la recherche caribéaniste a amorcé un virage méthodologique et historiographique. Bien que sans commune mesure avec l’effervescence qui secoue les études amazoniennes à la même époque, les nouvelles méthodes d’investigations archéologiques, la lecture renouvelée des sources coloniales, associées à un regard anthropologique contemporain ont modifié en profondeur notre vision de l’histoire autochtone de la Caraïbe. Tout d’abord, une réflexion critique s’impose sur la nature et la qualité des sources historiques (Hulme 1986 ; Hulme et Whitehead 1992 ; Whitehead 1995 ; Grunberg 2011). Ces formes narratives, exclusivement produites par des protagonistes européens ou d’origine européenne, décrivent depuis l’extérieur, et au prisme d’un ethnocentrisme déformant, des populations de tradition strictement orale. Toutes trahissent, de façon plus ou moins évidente, l’incapacité de leurs auteurs à comprendre les dynamiques culturelles et socio-politiques à l’œuvre dans la Caraïbe amérindienne. Les populations autochtones y sont souvent réduites à une langue pratiquée (karib vs arawak), à une culture partagée (kalínago / caraïbe insulaire vs arawak / lokono) et les rapports entre ces groupes à un antagonisme ontologique. Et que dire de l’abondante indétermination ethnonymique qui règne dans ces récits. Ne témoigne-t-elle pas de l’incompréhension européenne face aux modalités autochtones d’affirmation de l’identité ? (Roux 2019). Or, l’examen des indices linguistiques et archéologiques tend à montrer que ces populations dessinent plutôt des chaînes de sociétés, agrégeant ou fractionnant les communautés locales en fonction de réseaux d’échanges – matrimoniaux, commerciaux, guerriers, etc. – vastes et articulés, des rives de l’Orénoque et de l’Amazone aux Antilles (Dreyfus 1992 ; Whitehead 1993). La langue des Kalínago est ainsi issue de la famille des langues arawak (Taylor 1977 ; Hoff 1994 ; mais voir aussi Bakker 2019 et Jansen 2020 sur le sexolecte de l’anglais genderlect, un terme qui tente de définir les variations observées dans les pratiques linguistiques des hommes et des femmes kalinago). De même, la filiation établie entre les complexes céramiques Koriabo (Guyanes) et Cayo (Petites Antilles) nous autorise à apprécier les contacts culturels, d’une part, entre Autochtones des îles et, d’autre part, entre insulaires et groupes de la Terre ferme, voire la complexité des sociétés autochtones, la continuité des pratiques et l’entremêlement des populations (Boomert 1986 ; Rostain 1994 ; Hofman et al. 2014). Au tournant du XVIe siècle pourtant, les modes de contrôle et de domination exercés par les empires coloniaux n’augurent pas d’une continuité culturelle ou de la survie de ces groupes : choc microbien, travail forcé, guerres, et dans le cas des Garifuna / Garinagu, peuples dits issus des mariages mixtes entre Africains et Autochtones, exiles et déplacements forcés (Gonzalez 1988 ; Fabel 2000). Les frontières ethniques entre les ensembles indigènes, jusqu’alors mobiles et ténues, se renforcent sous l’effet de la pression coloniale et précisent l’identité des populations que connaît l’histoire plus récente. Bien que difficiles à circonscrire aujourd’hui, leurs fluctuations comme les recompositions forcées ou induites – migratoires, sociales, identitaires, économiques, etc. – par les bouleversements politiques, démographiques et culturels de la conquête européenne sont aussi considérables qu’inégales selon les lieux et les moments. En outre, l’introduction de populations africaines déplacées aux Antilles dans le cadre de la traite a entraîné des pratiques nouvelles au sein des groupes, comme l’aplatissement du front du nourrisson chez les Garifuna / Garinagu. Cet exemple témoigne à tout le moins de la volonté de ce peuple de se définir et de négocier son identité non pas en termes biologiques, mais en termes culturels. Le partage des rites et des pratiques spirituelles, et d’autres mœurs et coutumes suggère également que la filiation biologique n’était pas le seul moyen de définir l’appartenance à un groupe. Mais la filiation, même lorsqu’elle est biologique, peut être perçue comme étant absente. Chez les Carib de Saint-Vincent, il existe un sentiment de chaînon manquant en raison de la rupture occasionnée par l’exil d’une partie du groupe qui s’est reconstitué en Amérique centrale (Leland 2014 ; Prescod 2017). L’effacement de la langue et d’une partie substantielle des pratiques culturelles se double d’un manque de volonté de transmettre et de cultiver la mémoire historique de la trajectoire de ces groupes. Les études présentées lors de ce colloque porteront sur la (non-)transmission de l’histoire et de l’héritage des autochtones dans la zone caribéenne et sur les enchevêtrements culturels. Elles chercheront à définir les réseaux tissés par les autochtones qui ont donné lieu à des résistances à la domination et à l’acculturation, mais aussi à des contacts culturels et à des échanges interethniques et interterritoriaux. Enfin, elles interrogeront les manières dont le patrimoine immatériel des autochtones est aujourd’hui détenu est perçu et s’interprète. Bibliographie
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